Le design de la lecture est extrêmement difficile.
Concevoir pour la lecture est un processus lent et très souvent frustrant : le designer s’appuie sur des règles pour mieux les contourner, il cherche à composer une mélodie harmonieuse proposant suffisamment de contraste pour éviter le monotone, il doit enrichir sans jamais le faire remarquer.
En réalité, nous ne sommes même jamais récompensés pour du bon travail car c’est le mauvais que les lecteurs ressentent.
Parlons un peu des livres numériques
Le livre numérique doit composer avec toute l’histoire du livre imprimé : sa typographie hyper soignée, ses marges aux proportions quasiment idéales, son fonctionnement simplissime qu’il est facile de s’approprier.
En comparaison, le livre numérique est bien pauvre : les algorithmes de justification sont mauvais, le rendu des polices est loin d’être optimal et varie d’une plateforme à l’autre, les compositions par défaut des applications de lecture font l’objet de très faibles attentions.
Le fait est que nous rendons même le livre numérique plus pauvre qu’il ne devrait l’être…
Regardez bien ces deux captures. Il ne sera pas difficile de comprendre pourquoi le message « Un confort de lecture flexible de jour comme de nuit » est totalement à côté de la plaque.
Aucune règle typographique de base n’a été respectée ici. C’est une expérience de lecture de merde, c’est un total irrespect pour la typographie et le lecteur.
(À moins que cela ne soit volontaire étant donné la rétribution au nombre de pages lues ?)
Aujourd’hui, la situation est catastrophique. Pour l’améliorer, il suffirait de quelques choses :
- de l’espace blanc (marges) ;
- une longueur de ligne idéale ;
- un interlignage soigneusement choisi en fonction de cette longueur de ligne ;
- des polices dessinées pour l’écran ;
- un algorithme qui recalcule le tout en fonction de la taille choisie par l’utilisateur.
C’est ce que l’app Readmill faisait très bien, c’est aussi ce que beaucoup de ses utilisateurs appréciaient.
Et puis, on pourrait même imaginer peaufiner les détails de la composition : équilibrer les lignes des titres, implémenter l’algorithme TeX pour la justification, gérer veuves et orphelines, soigner le rythme vertical si des images se trouvent dans le livre, etc. (cf. cette liste de ressources JavaScript).
Bien sûr, on risque de me répondre que cela demande des ressources, ce qui aura un impact sur la rapidité du rendu et l’autonomie de l’appareil de lecture. Mais ce n’est certainement pas une raison de ne pas se donner la peine d’essayer de faire au mieux sur les fondamentaux puis d’intégrer des raffinements qui ne « coûteront » pas trop en CPU.
Book design is 99% typography
Vous avez peut-être déjà lu ou entendu l’expression « Web Design is 95% Typography ». Vous faites peut-être partie de ceux qui ne sont pas d’accord avec cette idée. Reste que cette réflexion date de 2006, que le web a fait beaucoup de progrès typographiques depuis.
En 2015, la typographie du livre numérique est toujours pervertie par des mauvais designers. Or, ces designers devraient en toute logique être des experts de la lecture sur écran… Alors quel est le problème ?
Même les designers d’Adobe (Digital Editions) font des erreurs de débutant alors que l’histoire de l’entreprise est intimement liée à la typographie !
Il est temps que nous nous révoltions.
Il est temps que les acteurs du livre numérique en aient quelque chose à foutre et aillent chercher les compétences pour améliorer la situation.
Les lecteurs adorent la bonne typographie
La preuve ? Ils utilisent des apps et services qui soignent la lecture dans les moindres détails.
Readability, Pocket, Flipboard, Typed, Medium…
Nous interagissons avec la bonne typographie tout au long de la journée, quand nous écrivons, quand nous lisons voire quand nous travaillons. Il est inconcevable que ce ne soit pas le cas pour le livre numérique. Systématiquement. Pour chaque app de lecture.
Toutes les phrases ne naissent pas égales
La typographie est la voix qui guide la lecture. À ce titre, tous les livres ne gagnent pas forcément à être composés de la même façon.
Certains livres complexes, par exemple, peuvent demander à ce que nous ralentissions le rythme de lecture à l’aide d’une police aux formes moins évidentes.
Alors pourquoi pas proposer des thèmes au lecteur ?
Oyster, un service d’abonnement de livres numériques propose cette fonctionnalité. Le lecteur peut choisir le thème qui lui convient le mieux et – très légèrement – le modifier.
Et pourquoi pas imaginer un tel système dans une app populaire ? Et pourquoi pas proposer ces thèmes aux designers de livres numériques ? Et pourquoi pas créer un magasin de vente de thèmes à l’usage des lecteurs ?
S’il est vrai que cela est assez difficile à imaginer en pratique, structures HTML des fichiers « aidant », c’est au moins une piste qui vaut la peine d’être explorée. C’est peut-être même le point de départ de la bonne typographie.
Typographie Neue
Nous devons pointer les mauvais élèves, nous devons militer pour une bonne typographie du livre numérique, nous devons rattraper non pas le retard que nous avons pris sur l’imprimé mais le retard ahurissant que nous avons pris sur le web et les autres apps du domaine de la lecture.
Il est anormal que les utilisateurs aient à prendre le temps d’exécuter une composition typographique qui leur convient. Il est temps que nous rappelions aux designers des solutions de lecture que leur travail consiste à le faire pour eux, pour leur faciliter la vie.